Zlatan Ibrahimovic, joueur instinctif

Ibrahimovic

Voici une photo du joueur de football suédois Zlatan Ibrahimovic, en train de réaliser un ciseau retourné lors du match amical Suède-Angleterre du 13 novembre 2012, au Friends Arena, à Solna, en Suède.

 

Au cours de ce match, le numéro 10 suédois a marqué 4 fois. Il a d’abord ouvert le score en première mi-temps. Puis, l’Angleterre a égalisé et dépassé les Suédois. Zlatan a marqué un doublé pour permettre à son équipe de repasser devant à 3-2. Le geste technique qu’on voit sur le photo intervient en toute fin de match : de façon magistrale, Ibrahimovic et son équipe prennent le large, à 4-2.

 

Zlatan apparaît dans les airs, au premier plan. Il est suivi au deuxième plan par un joueur anglais qui court après l’action. A ce moment du jeu, le ballon vient d’être lancé en profondeur par un défenseur suédois. Le gardien anglais sort in extremis de sa surface de réparation pour dégager la balle de la tête. Zlatan avait vu le coup venir : il se tient à l’écart du gardien pour récupérer le ballon qui lui passe au-dessus. L’attaquant suédois est obligé de frapper au but en catastrophe. De dos, à 30 mètres du but, il réalise un ciseau retourné totalement improvisé. Après un bref effet de suspens, le ballon finit son envolée dans les cages, où un défenseur anglais se jette, peine perdue.

 

Le temps suspendu

La photo est prise au moment de l’exécution du geste. Zlatan vient de frapper, il est toujours dans les airs. Au second plan, le joueur adverse fixe le ballon qui s’élève ; il paraît avoir déjà ralenti sa course, il n’y a plus rien à faire, le ballon atterrira, et en attendant sa chute, inutile de se presser. La mise au point est faite sur Ibrahimovic, on aperçoit, 6 mètres derrière, le joueur anglais, et en arrière plan, la foule de supporters qu’on devine à peine. La photographie donne ici une impression de temps figé, suspendu, qui fait ressortir l’aspect faussement critique de la scène. Le goal est sorti, les défenseurs sont trop loin pour protéger les buts, personne ne peut plus intervenir. Fatalement, la balle va sortir du terrain ou entrer dans les cages. C’est cette fatalité que l’on peut sentir prendre corps sur le terrain.

 

Zlatan et le spectacle

Un mot sur Ibrahimovic. Il est pris en photo au moment où il vient de tirer, et il va retomber. On devine à la position de sa main gauche qu’il se prépare au contact de la pelouse. Pourtant, l’œil ne suit pas. Zlatan regarde fixement mais aussi, on le sent, subrepticement le ballon, car son corps en mouvement ne lui permettra bientôt plus de garder l’œil sur sa trajectoire. Son regard, mais aussi sa bouche, son nez, les traits de son visage, sont en tension : c’est la concentration du virtuose qui vient de réaliser son geste. Le reste de son corps est dans une posture étrange. Le pied droit, tout d’abord, est l’avant-poste de ce geste étonnant, il est tendu vers le ciel, et imprime le mouvement de balancier du corps. La main droite maintient un équilibre sur la brèche. Le pied gauche pend assez mollement après l’impulsion du saut. Dans son ensemble, le corps est assez souple pour épouser le mouvement. Le maillot, enfin, s’est légèrement soulevé lors de l’action.

La photo est prise entre le moment où Zlatan a réalisé son geste et celui où la balle entre dans le but. Cette tension, dont nous avons déjà parlé, est importante : le corps de Zlatan est photographié à la fin du mouvement, il a accompli le geste, reste le moment où la balle franchira les buts. Cette immortalisation du geste technique permet de saisir l’effet qu’il procure : un effet de spectacle, une représentation. Zlatan est un artiste. Par quoi est-il guidé ? Son instinct. Zlatan savait que le gardien avait déserté ses cages mais il a senti plutôt que su qu’il devrait tout tenter pour le propulser dans l’urgence vers les cages. Cette urgence qui force l’instinct à s’exprimer est perceptible dans la bizarrerie du geste. Le corps désarticulé le montre. On retrouve deux caractéristiques du spectaculaire dans ce geste : la spontanéité, l’improvisation propre à l’artiste, et l’impression d’étrangeté, l’effet d’étonnement qu’il procure.

2 réflexions sur “Zlatan Ibrahimovic, joueur instinctif

  1. Bon choix. Il aurait été intéressant d’approfondir en vous aidant de quelques lectures; La notion de punctum chez Barthes aurait pu éclairer votre réflexion. La temporalité de la photographie est aussi intéressante à analyser.

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  2. Vos derniers articles montrent que vous avez pris les commentaires en compte (références à Barthes par ex.) Vos analyses sont fines et profondes. merci de m’avaoir fait découvrir ce photographe étonnant!

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